IWD2023 Q&A : Les femmes doivent connaître les lois foncières en faveur de la propriété foncière – Dr Saidou
- Le Dr Safiatou Saidou, du Cameroun, a remporté le prix du Réseau d’excellence sur la gouvernance foncière en Afrique, nœud d’Afrique centrale, qui récompense le meilleur master sur les questions foncières en Afrique centrale.
- Elle s’est engagée à garantir les droits des femmes à accéder à la terre au Cameroun par la réforme des normes législatives, réglementaires et sociales.
Focus spécial sur les voix de premier plan en matière de droits fonciers des femmes en Afrique
Quels exemples avez-vous vus d’approches innovantes pour protéger et promouvoir les droits fonciers des femmes, et comment celles-ci peuvent-elles être étendues et reproduites dans d’autres contextes ?
À ma connaissance, les approches innovantes récentes dans la zone septentrionale du Cameroun sont pour la plupart centrées autour des plaidoyers, des lobbyings et des apports financiers pour promouvoir les droits fonciers des femmes. Plusieurs actions ont été menées par diverses ONG et Associations en faveur des femmes dans ce sens. Il s’agit notamment des GIC, bien répandus dans tous les villages, qui ont été impulsés pour répondre à la nécessité de constituer une force de travail commune sur la base de critères de proximité dont le but, dans le domaine agricole, est d’accroître la production. C’est dans ce sillage que pour contourner la discrimination des femmes à l’accès à la terre, certaines femmes ont décidé de se constituer en GIC ; ce qui augmente leur possibilité d’exploiter durablement des parcelles. Par exemple dans la Région de l’Extrême-Nord, l’ONG CROPSEC a facilité l’acquisition de terres en faisant du lobbying auprès du chef traditionnel.
En plus avec la crise sécuritaire liée au boko haram dans cette région, les ONG internationales à l’instar de NRC, OCHA et d’autres organismes locaux tels que l’ALVF, l’ALDEPA…, soutiennent les femmes dans l’accès au foncier à travers des séances d’information en matière de la sécurisation des transactions foncières et par des assistances légales à celles qui rencontrent des problèmes de litiges fonciers. Ces appuis sont observés beaucoup plus dans le Logone et Chari, le Mayo-Sava et le Mayo-Tsanaga, qui sont des localités les plus touchées par la crise sécuritaire. Ainsi, il y a une nouvelle classe des femmes qui émergent et s’émancipent de plus en plus dans ce domaine. Le tableau n’est pas totalement noir comme on le pense souvent, car il y a des femmes qui, à titre personnel et collectif, ont pu avoir l’accès à des vastes terres sécurisées pour améliorer leur revenu agricole. Avec ces résultats probants, ces différentes approches peuvent être considérées comme des bonnes pratiques reproductibles.
Selon vous, quels sont les plus grands défis auxquels les femmes sont confrontées en matière d’accès et de possession de terres dans votre pays/région ?
À mon avis, les plus gros défis dans la zone septentrionale du Cameroun se situent au niveau des perceptions négatives vis-à-vis des femmes propriétaires du foncier et de la sécurisation de leurs droits. Malgré l’évolution du droit foncier, la marginalisation des femmes persiste. Elles peuvent en principe acquérir par elles-mêmes les terres qu’elles veulent exploiter sans qu’il y ait un blocage relatif au genre. Mais cette marginalisation des femmes en zones rurales est bien ancrée dans l’univers socio-mental et socio-culturel des populations bien qu’aujourd’hui le droit camerounais donne la possibilité à la femme d’acquérir et de posséder la terre. Si les femmes ont la possibilité d’accéder à la terre grâce à l’achat qui devient le mode de plus en plus répandu dans les transactions foncières, la majorité d’elles occupe les terres marginales.
Je peux aussi mentionner le statut matrimonial qui demeure déterminant pour l’accès des femmes à la terre. Elles risquent dans la plupart des cas de perdre leurs droits en cas de divorce, de veuvage ou de la migration de leur mari. À cela, je dois ajouter que l’héritage du foncier ne se partage pas de manière égale entre les hommes et les femmes. Les droits des femmes à l’héritage foncier sont affectés par les normes et règles culturelles. Par exemple, dans les cultures où les droits fonciers sont relayés à travers les hommes (patrilinéaire) et où les femmes déménagent chez leurs époux lors du mariage (patrilocale), une femme héritera rarement des droits fonciers de son défunt mari parce qu’elle est considérée comme « étrangère » à la lignée de sang du défunt mari.
Par ailleurs, j’observe que le mariage constitue un frein à l’achat du foncier par les femmes. En effet les femmes mariées dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun n’ont pas la même liberté que les célibataires, les divorcées ou les veuves de s’approprier une terre.
De plus, du fait de leur illettrisme et ignorance, la majorité de femmes ignorent les dispositions règlementaires leur permettant de faire valoir leurs droits de posséder et d’acquérir ou de jouir du foncier. Quand bien même elles les connaissent, elles hésitent d’en faire usage afin de ne pas remettre en cause les règles sociales, mais aussi et surtout de peur d’être divorcées voire stigmatisées. La stigmatisation conduit ainsi à la persistance des pratiques traditionnelles pour l’accès des femmes au foncier par l’achat, l’héritage et le don au sein des familles. Il en est de même de l’accroissement de l’achat de terrain en cachette de peur des représailles du conjoint.
Dans les différentes régions du Cameroun, les femmes qui souhaitent posséder des terres sont confrontées à de réelles difficultés, Comment aborder les droits fonciers des femmes dans le Cameroun rural ?
À mon sens, les textes de lois applicables au Cameroun en matière foncière sont multiples et multiformes, désuets et d’interprétation difficile. Ils ne font pas part spécifiquement de l’accès des femmes au foncier. La sécurité foncière pour tous et plus spécialement pour les femmes implique nécessairement le vote par les autorités étatiques, de nouveaux textes (élaboration et vote d’un Code foncier unique) et lois ainsi que la mise en conformité de certains cadres juridiques existants (Code des Personnes et de la famille).
En plus de faire participer les femmes aux instances de proximité de gestion du foncier, il importe également à mon avis de promouvoir la pleine citoyenneté des femmes, le respect de leurs droits et de faciliter l’accès des femmes à la propriété foncière en levant les différentes barrières liées au poids de la tradition et des normes sociales.
Comment faire en sorte que la gouvernance foncière/la politique foncière soit plus sensible au genre et plus inclusive, et quelles mesures peuvent être prises ?
Je pense que l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de communication pour une appropriation des lois relatives à la propriété foncière permettrait à faire prendre conscience à tout le monde et en particulier aux femmes que la sécurisation de la terre est un facteur important de développement. Elles permettront d’éduquer et de sensibiliser à grande échelle et aussi d’améliorer la connaissance générale des textes de loi en matière foncière. Les femmes qui constituent plus de la moitié de la population du Cameroun seront alors en mesure de comprendre leurs droits et être capables de les défendre. Ce qui leur permettra de contribuer considérablement et efficacement au développement. De même, par le canal de la sensibilisation et de l’information, l’analphabétisme juridique sera diminué, la lutte contre la spéculation foncière et l’exclusion des femmes seront efficacement menées.
Par ailleurs, je pense que des mesures socio-économiques et d’incitation peuvent être prises pour accroitre l’accès des femmes à la terre. En matière foncière, l’inégalité entre les sexes masculin et féminin est très accrue parce que malgré l’existence de textes et de l’effort politique, la femme même intellectuelle continue d’être considérée comme inférieure au regard de la tradition. Ayant des ressources limitées, la femme ne peut alors s’acquérir des terres. Pour améliorer son statut et lui permettre d’accéder au même titre que l’homme au patrimoine foncier, il y a lieu en dehors de son information, éducation et dialogue permanent, de prendre des mesures spécifiques la concernant sur les plans socio-politique et économique. Les propositions qui paraissent judicieuses ici surtout pour les zones de fortes pressions foncières sont le crédit foncier et l’épargne foncière à des taux d’intérêt réduits qui seront destinés à favoriser l’accès des femmes à la propriété foncière.
Je terminerai par ajouter que l’appui à la constitution et à la dynamisation de groupements de femmes peut également être envisagé. Les femmes en groupement seront plus fortes, leurs efforts conjugués leur permettront d’emblaver plus de superficies et d’avoir par conséquent plus de moyens financiers et de pouvoir bénéficier de crédits importants. Il sera judicieux de renforcer ceux qui existent déjà par l’appui technique et financier, susciter et aider à la création desdits groupements dans les zones où ils sont inexistants. La bonne organisation de ces groupements et leur cohésion leur permettront de déléguer facilement leurs représentantes dans les instances de décision sur la problématique de la gestion foncière et d’organiser des visites d’échanges d’expériences entre groupements. Toutes ces différentes actions seront en faveur d’une politique foncière inclusive.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent faire carrière dans le secteur de la gouvernance foncière ?
Je leur conseillerais de bien s’imprégner des textes et lois en vigueur, de bien connaître les enjeux sociologiques et politiques sur le terrain, mais aussi de développer des stratégies de sensibilisation de proximité pour accompagner les femmes dans le processus d’épanouissement en matière foncière. En cela, elles peuvent non seulement contribuer à leur niveau à faire évoluer les connaissances sur le foncier mais également à pouvoir appuyer à la prise de décision dans leurs milieux.